« Libération » (Rebonds), 12 juin 2006
Deux cents personnalités lancent un appel dénonçant le projet « immigration choisie » du gouvernement
par Etienne BALIBAR, professeur de philosophie politique et morale à Paris-X Nanterre ; Marie DESPLECHIN, écrivain ; Gérard NOIRIEL, directeur d’études à l’EHESS ; et Bertrand OGILVIE, maître de conférences en philosophie à Paris-X Nanterre
Nous – artistes et créateurs en tout genre, intellectuels – avons pris la mesure du lent travail des cultures dans l’histoire si bien que l’idée de l’unité et de l’indivisibilité de l’humanité a du mal à faire éclore.
Nous voulons garder constamment à l’esprit ce jugement de Robert Antelme qui, à la sortie du camp de concentration dans lequel il avait été exposé à la mort, écrivait : vérité qui apparaît ici [dans les camps de concentration allemands] éblouissante, au bord de la nature, approchant de nos limites : il n’y a pas d’espèce humaine, il y a une espèce humaine. C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront finalement impuissants devant nous. C’est parce qu’ils auront tenté de remettre en cause l’unité de cette espèce qu’ils seront finalement écrasés. Mais leur comportement et notre situation ne sont que l’agrandissement, l’extrême caricature – où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître – de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même ce vieux « monde réel » auquel nous rêvons. . Tout s’y passe comme s’il y avait des espèces – ou plus exactement comme si l’appartenance à l’espèce n’était pas certaine, comme si on pouvait y entrer et en sortir, ne pas y être. seulement la moitié ou l’atteignent complètement, « [ 1 ].
Fidèles à l’appel à la vigilance d’Antelme et bien d’autres, nous avons décidé de ne jamais laisser passer les « comportements » et les « situations » du « monde réel » – le nôtre – qui créent les conditions pour que « Tout se passe effectivement comme s’il y avait des humains espèces ».
Nous considérons que les choix actuels du gouvernement français distinguant une « immigration choisie » et une « immigration subie » relèvent d’une politique économique qui, tout en développant sa propre logique, contre laquelle nous protestons, s’appuie d’ailleurs volontairement sur des orientations. racistes, dont aucun de nos gouvernements, de quelque côté que ce soit, n’a malheureusement jamais tenté de débarrasser complètement nos institutions. Ces tendances, quel que soit l’écho qu’elles reçoivent dans certaines couches de la population, et les tentations démagogiques qu’elles entraînent, ne sauraient en aucun cas s’identifier à la volonté du peuple français.
Nous affirmons une fois de plus qu’il est de la plus haute importance de considérer que « tous les hommes sont comme nous » et que ce principe ne doit pas être remis en cause.
À partir de ce principe intangible, nous appelons solennellement l’opinion publique à s’opposer à la réforme en cours de la politique française d’immigration. Nous invitons les groupes politiques, les syndicats et associations, les églises et tous les citoyens organisés à se mobiliser contre cette réforme. Nous exigeons que le gouvernement se ressaisisse d’urgence.