Histoires
Témoignages : Pourquoi Sommes-Nous Ici ?
Saint-Hippolite (Paris 13), 3 mai 2006
Mercredi 3 mai 2006.
Témoignage de sans-papiers recueilli le 3 mai 2006 en l’église Saint-Hippolite à Paris
Ahmed Djahl, 9 ans et demi
Les groupes viennent à l’église pour demander les papiers. Je ne suis jamais venu à l’église, j’avais peur parce que pour moi je pensais que les chrétiens n’aimaient pas les musulmans.
Maintenant, je n’ai plus peur parce qu’ils ont dit que nous allions dormir ici, et si nous dormons ici, la police ne viendra pas. Je suis rassuré.
L’église est gentille avec les sans-papiers. Peut-être que le chef de l’église nous aidera à nous donner des papiers. Par rapport à Auguste Perret [ex-local du Service social d’aide aux émigrés (SSAE) occupé très récemment par des sans-papiers], je n’ai pas aimé ça parce que la police nous a poussés alors qu’on n’avait rien fait. Il y a eu des accidents. J’avais très peur, ma mère a perdu ses chaussures. Les autres se sont fait prendre par les flics. D’autres ont fui. Ali m’a sauvé la vie. Il est venu me chercher et m’a emmené dehors, ma mère était à côté de moi. Maintenant à l’église je suis à l’aise. Avant même l’expulsion d’Auguste Perret, j’avais très, très peur, car je savais que la police pouvait venir à tout moment.
Quand je suis arrivé à l’église, j’ai demandé à ma mère de rentrer à la maison, parce que j’avais très peur, mais ma mère a insisté pour que nous restions. Quand Jean-Claude a dit qu’il n’y avait aucun risque que la police vienne, alors j’ai dit à ma mère si nous pouvions rester.
J’ai peur de la police à cause du gaz mais aussi de la matraque. Nicolas Sarkozy veut envoyer la police pour nous renvoyer dans notre pays d’origine.
Diallo Aboubakar
Je vis dans ce beau pays depuis 6 ans. J’ai trouvé les Français très gentils, mais ils ont un gouvernement maladroit. Je ne suis pas venu faire du tourisme en France, je suis ici pour travailler. Pour que cela se produise, nous devons tous être régularisés. C’est très dur pour moi, je vis dans la pauvreté. Quand je suis arrivé ici, j’ai pensé que notre galère allait finir. Je me rends compte que c’est plus dur qu’avant.
Camara Dianko
Nationalité guinéenne.
Je suis en France depuis 1988. Je ne sais pas si vous comprenez ma souffrance. J’ai attendu d’avoir 10 ans (en France) pour demander ma régularisation. On m’a donné un refus. J’ai tout perdu, je ne peux pas rentrer chez moi après tout ce temps. J’ai fini par épuiser toutes mes forces ici. Nous devons régulariser tous les sans-papiers. Sans exception.
Cissoko Mamadou
Nationalité sénégalaise.
Cela me fait 5 ans de présence en France. En fait, le mot « immigration choisie » m’agace. Nos ancêtres qui ont été emmenés en Afrique n’ont pas été choisis. Je pense que les immigrés apportent beaucoup en France. En même temps, je pense que la France doit régulariser tous les sans-papiers qui s’y trouvent au lieu de nous parler d’immigration choisie. Enfin, Sarko doit se rappeler qu’il est le fils d’un immigré.
Coumba
L’image de marque de la France est ternie par un étranger. On voit qu’il ne sait pas ce qu’est la France d’hier, la France Terre d’Accueil, la France mère colonisatrice, la France terre d’asile. Ce sont eux qui ont instauré la colonisation, la démocratisation, la dévaluation, et maintenant ils établissent la précarité après avoir dépouillé l’Afrique de toutes ses richesses.
Mon père s’est battu pour libérer la France des mains des nazis, il a toutes les distinctions honorifiques de l’armée française, et sa progéniture se voit refuser un congé de maladie.
La France n’est plus la France. A bas l’esclavage, l’exploitation de l’homme par l’homme.
Ces lois racistes, je les compare aux lois sous Vichy et sous Pétain. Ce qui arrive à la France n’est pas la faute des étrangers, c’est la mondialisation qui équivaut au profit et ce profit tend à rendre les riches de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Alors faisons vivre cette mondialisation et vive la Résistance.
Dia Ndiath Tierno Gounass
Nous sommes ici pour souligner notre objectif d’avoir les papiers.
Tout cela pour défendre notre dignité. Refuser de faire des bêtises, refuser la violence.
C’est juste pour travailler et avoir de la dignité.
Nous sommes dans un moment de danger. Quel est le danger ? Nous rencontrons la police et nous risquons d’être licenciés sans avoir rien fait.
En France, on sait que si vous n’avez pas de papiers, vous êtes un danger ! Beaucoup de policiers.
Espérons que les choses se passent bien.
Nous voulons vivre comme tout le monde. Et vous ne pouvez pas vivre en France sans papiers.
Aliou et Amadou
Nous sommes ici parce que nous sommes sans papiers. Quand on y habite normalement, il faut avoir des papiers. Actuellement, nous ne pouvons pas vivre « une vie humaine » comme tout le monde.
C’est bien pour nous que ce soit une église qui nous accueille. Les gens de l’église sont humains. J’espère que, grâce à eux, nous obtiendrons plus de choses.
Nous sommes venus en France pour ne pas travailler pour autre chose. Si nous venions faire de mauvaises choses, nous resterions en Afrique.
La France est un colonisateur du Sénégal. Pour nous, c’était normal de venir en France car nous vivons depuis l’enfance avec les Français.
Sarko dit que l’étranger doit apprendre le français. Cependant, en tant que Sénégalais, je parle et comprends le français depuis que je suis petit.
Mais rien n’est fait pour moi, pour intégrer
Moi ici.
Nous n’avons pas d’autres pays où aller puisque nous ne parlons que français.
Sarko discrimine en choisissant des étrangers d’Europe de l’Est et refuse les Africains alors que nous sommes colonisés depuis très longtemps.
Ce que nous voulons, c’est la régularisation de TOUS les sans-papiers. On se bat pour ça !!
Anonyme
C’est toujours le même mot. Nous sommes fatigués.
On est là, ça fait longtemps. Tous ces problèmes sont dus aux papiers. On ne tue pas les gens, on ne viole pas, on ne se drogue pas, on est des ouvriers et on vient travailler, c’est tout.
Alors maintenant, ce sont les Français qui nous ont colonisés. Nous sommes ici pour travailler, nous ne sommes pas des bandits. Les américains ne nous ont pas colonisés et ils donnent des visas pour 3, 4 ans.
Les Français, s’ils ne nous aiment pas, ils n’ont qu’à donner des visas de 3 ou 4 ans et on rentre. Mais pas 3 mois !
Si vous avez vu des Maliens, ils sont là depuis 3 ans et ils n’ont rien car nous n’avons pas de moyens.
On n’a qu’à donner des papiers et comme ça, on peut travailler. C’est tout.
Moussa Traoré
Nous sommes des travailleurs sans papiers, des travailleurs. Nous avons fait 10 ans, 15 ans de travail et nous contribuons et, quand nous sommes malades, nous ne bénéficions pas des prestations de santé.
C’est maintenant l’esclavage moderne.
Pourquoi nous ne sommes pas régularisés, cela fait 15 ans que nous sommes là. Le retour au pays est impossible.
Ils disent que l’immigration choisit ceux qui ont étudié.
S’ils prennent tous les intellectuels de chez nous, que nous reste-t-il ? Au Mali, les médecins partiront d’ici. Que vont faire les gens ? Si nous ne restons pas entre nous, quelle force nous reste-t-il ?
J’ai des choses à dire, nous en avons marre.
Karima Aberkane
Bonjour
Fille d’immigré et vétéran de France (grand-père), depuis mon enfance, j’aime la France et j’ai toujours rêvé de venir en France. Aujourd’hui, je me suis retrouvée en France avec mon mari et mes 2 enfants nés et éduqués en France. Je me retrouve sans papiers après 5 ans de présence sur le territoire français. J’ai eu un refus pour chaque demande faite à la préfecture. Je n’ai pas de solution individuelle. J’ai rejoint le collectif après avoir entendu ce projet de loi où nous n’avons aucune chance d’être régularisés. Et par rapport à mes enfants qui vont à l’école, ils seront expulsés fin juin, la fin de l’année scolaire.
Si je suis ici aujourd’hui, je remercie le prêtre qui nous a beaucoup reçus. Avec ce collectif, j’espère que nous aurons une vie meilleure, que nos enfants pourront avoir une vie normale.
Free of Her Brain Tumors, Is Wida a “Useful” Migrant or a “Sustained” Migrant?
Her name is Wida. She is 17 years old. She is Afghan. She lives in the suburbs of Kabul with her large family: seven brothers and sisters, her mother, her sister-in-law, two little nephews.
In 2003, she had a series of syncope at home. She complains a lot about the head, moans at night, cries during the day. It becomes a burden. At the nth syncope, one fine day in July 2004, her relatives tie her up because she struggles and throw her into a dark recess. On landing, she broke her front teeth. We will see, they say to themselves, whether God will heal her or condemn her. Would they thus have turned over to providence if it had been a question of a boy?
Innocent parents innocently tell the story over the phone to one of their sons who lives in France. Like an unimportant anecdote: « By the way, you know, your sister … ». He, who has been here for two years, rebels against such barbarism and threatens to cut off all contact if Wida is not treated. Contributions, sending 200 or 300 euros. The family drives Wida to Peshawar in Pakistan as there is no point in hoping for any effective care in Afghanistan. A surgeon examines her and decides to operate. Through imprecise telephone accounts, we understand that there was blood in the young girl’s skull. After a few days, she leaves the clinic and returns to Kabul.
Wida is doing better. But not very good. She applies for a visa for France, which refuses it three times. By what miracle does Austria grant him one? We’ll never know. As she is better, she does not worry about her health until one day, in Vienna, she faints in the street. Emergency relief, hospitalization in the first hospital to come, which decides to transfer to the neurology department of the university hospital center in the Austrian capital. There, she undergoes many examinations. Neurologists and surgeons hesitate to intervene because the risk of death or significant sequelae seems very high to them. They end up deciding the surgery. They remove two tumors – which will turn out not to be malignant – in the brain, one of which is the biggest they’ve ever seen in all of their multiple careers. They will also publish articles in the scientific press.
Today, Wida is doing well. She is even amazed by his well-being. She will have to remain in Vienna under outpatient medical supervision for three years. A teacher comes to make her work every day at home. She lives in a small apartment near the hospital where she goes for exams every now and then for two or three days.
Is Wida a “useful” migrant or a “suffered” migrant?
Wida is alive and happy. When his brother, who lives in France and who feels more than pride in having forced his family to have his sister treated, spoke to him about the ideas of MM. de Villepin and Sarkozy, she said: « So they would have wanted me to die? »
Jean-Pierre Alaux (Gisti)
Demain, si la loi passe...
Vous rencontrez Mamadou, votre voisin du 6e, un peu plus inquiet et triste que d’habitude, puis vous lui demandez s’il va bien. Trois ans qu’il n’a pas vu sa femme et ses enfants et qu’il vous parle de les amener un jour en France. Il y a 6 mois, il vous a invité à sa soirée car il avait enfin été régularisé. Cela lui faisait aussi plaisir d’avoir débarqué ce 30m² après tant de tracas, il était indispensable de déposer une demande de regroupement familial. Cependant, il n’est même pas sûr que son hébergement soit acceptable pour que l’affaire aboutisse. Cependant, il doit encore attendre un an avant de faire une demande de regroupement, et celle-ci peut être refusée. Pire, il n’est vraiment pas sûr que son pays enverra les documents d’état civil nécessaires. Ses amis maliens lui ont dit que cela pourrait prendre des années. Alors évidemment
Thomas, un de vos amis, est tombé fou amoureux d’Elena lors d’un voyage en Ukraine. Après plusieurs allers-retours, Elena est venue en France avec un visa touristique et ils se sont mariés. Il pensait qu’il lui était facile d’obtenir un titre de séjour après leur mariage. La faute !! Son épouse s’est rendue à la préfecture pour obtenir un titre de séjour, son visa de tourisme ayant expiré quelques jours plus tôt. Mais avec la loi de 2006, ce n’est plus possible. Désormais, pour vivre légalement en France, Elena n’avait pas d’autre solution que de rentrer en Ukraine et de demander un visa long séjour. Sauf que Thomas vous annonce ce soir qu’il en est à sa troisième demande restée sans réponse. Et, si elle finit par l’obtenir, trois ans de mariage (au lieu de deux auparavant) et un justificatif de son intégration leur seront nécessaires pour obtenir une carte de résident.
Ce soir vous êtes resté plus tard que d’habitude au travail, Vous rencontrez Oury qui vient nettoyer tous les soirs en votre compagnie. Vous le connaissez bien, vous discutez souvent ensemble : dès qu’il vous reste des dossiers à terminer. Ce soir, il vous semble bouleversé. Vous l’interrogez. Se sentant en confiance, il vous dit qu’il est sans papiers. Il n’a pas vu sa famille depuis 1997, date de son arrivée en France. Il pensait être régularisé l’année prochaine en prouvant ses dix années de présence et lui amener enfin sa femme et ses enfants. Or, la loi étant votée aujourd’hui, le droit à la régularisation après 10 ans de présence n’existe plus. Désormais, ses papiers dépendent de l’arbitraire d’une administration poussée chaque jour à multiplier les refus et les expulsions. Oury a beau rester 30 ans en France, il en sera toujours de même.
Comme chaque jour, vous déjeunez avec votre collègue Paola. Elle a été embauchée pour une durée non renouvelable d’un an, selon une procédure prévue par la nouvelle loi. Depuis 2 mois, vous êtes la seule personne à qui elle ose parler du cauchemar quotidien qu’elle vit, dû au harcèlement sexuel dont elle est victime par son manager. Vous lui avez dit qu’il y avait des lois pour la protéger. Alors qu’elle prévenait qu’elle allait porter plainte s’il ne s’arrêtait pas, son manager lui a annoncé, du coup, qu’elle serait licenciée. En effet, Paola pourrait le poursuivre pour harcèlement mais le licenciement met fin à son droit à un titre de séjour depuis la loi de 2006… Elle sera bien loin de voir l’issue du procès, et son employeur le sait. . Vous ne saviez pas que Paola était tellement sur un siège éjectable, et que sa vie en France ne dépendait que du bon vouloir de ses employeurs…