Monsieur le Président
Monsieur le Ministre d’État
Mes chers collègues
Six mois, presque jour pour jour, après les graves événements qui ont secoué nos banlieues, et au lendemain des manifestations étudiantes qui vous ont amené à retirer le CPE, ici, Monsieur le Ministre d’Etat, vous soumettez à la représentation nationale un nouveau texte qui, sous couvert d’intégration, vise à durcir davantage les conditions de vie des immigrés dans notre pays.
C’est le deuxième texte en trois ans sur le même sujet, un deuxième tour de vis, comme si vous vouliez ainsi rythmer votre parcours ministériel.
Encore une fois, vous prétendez répondre à une urgence – mais quelle urgence ? – en suscitant par ce mélange de propos radicaux et de modernisme foudroyant que vous affectionnez, un nouveau réflexe de défiance envers une population, qui présente certes ses propres difficultés, mais enrichit aussi la France de sa diversité comme l’ont fait les immigrations italienne, espagnole ou polonaise depuis des décennies.
Cette nouvelle loi rend une population un peu plus précaire, qui ne souhaite pourtant que s’intégrer.
Chassés de chez eux par la force des événements ou des circonstances économiques, ces hommes et ces femmes ont choisi notre pays, et vous seriez surpris si, conversant avec eux sans cordon CRS et hors de portée des caméras, vous les entendiez exprimer leur attachement. en France.
Vous voulez seulement répondre à cela par une nouvelle accumulation d’interdits. Je veux vous dire, au-delà du clivage politique qui nous oppose, ma conviction que vous présentez aujourd’hui le texte de trop. Un texte qui, sans convaincre l’électorat réactionnaire que vous visez, suscite l’inquiétude d’une majorité de la population. Un texte qui provoque des réactions dont vous ne percevez pas encore toute l’acuité, réactions que vous minimisez sans doute, mais qui montrent comment la France peut être plus généreuse, plus fraternelle, plus républicaine que vous ne semblez le penser.
Monsieur le Ministre d’Etat, abandonnez ! Abandonnez ce projet, le plus destructeur du pacte républicain depuis la Libération ! C’est une honte pour la République française, une insulte à notre histoire et à nos traditions, une atteinte aux valeurs de la France que nous aimons.
Vous êtes le seul ministre de l’Intérieur à légiférer deux fois en trois ans sur l’immigration. Pourquoi déjà une deuxième loi ? Pourquoi encore une loi sur l’immigration ? Faut-il voir dans cette contrainte l’aveu de l’échec de la loi de 2003 ?
L’évaluation est difficile. Certains décrets d’application viennent d’être publiés, d’autres ne le sont pas encore. Vous voulez lutter contre l’immigration clandestine, dites-vous. Doit-on en déduire que, sous ce quinquennat, durant lequel vous avez été deux fois ministre de l’Intérieur, il aurait augmenté de façon alarmante, malgré vos discours et vos fermes instructions ? La commission d’enquête du Sénat – que l’on regrette a largement instrumentalisée, puisque le projet de loi sur la validation des mariages et le projet de loi sur l’immigration ont été déposés sans attendre les conclusions de ses travaux -, a souligné l’impossibilité de quantifier l’immigration clandestine et reconnu que le problème concerne principalement et surtout les territoires d’outre-mer.
Lors de son audition le 20 décembre, Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, expliquait non sans humour : « L’immigration irrégulière est un phénomène très difficile à évaluer puisque nous avons déjà du mal à produire des statistiques fiables sur l’immigration légale. Il est évident que les chiffres qui sont diffusés sur les étrangers en situation irrégulière ne sont que des estimations, et comme je viens de me jurer de dire toute la vérité, je me garderai bien d’en donner, afin de ne pas m’exposer, monsieur le président, aux sanctions vous avez mentionné! »
Inutile d’une nouvelle loi pour favoriser l’immigration de travail
S’agit-il d’ouvrir davantage l’immigration de travail ? Certes, il a diminué depuis votre prise de fonction malgré vos objectifs affichés en 2003, passant de 8 800 en 2001 à 6 700 en 2004, selon le Haut Conseil à l’intégration.
Si tel est votre objectif, un nouveau texte n’est pas nécessaire. Le gouvernement peut, par simple instruction ou circulaire aux services, et vous le savez, organiser l’arrivée des travailleurs étrangers. En 1998, une circulaire a suffi à permettre aux entreprises françaises de recruter des informaticiens étrangers afin d’éviter le bug informatique du passage à l’an 2000. Depuis le 16 juin 2005, c’est même vous, en tant que ministre de l’Intérieur, qui avez autorité sur les services qui délivrent les permis de travail.
Votre intention est donc ailleurs. Il s’agit pour vous d’ouvrir une nouvelle offre électorale aux électeurs d’extrême droite, celle de restrictions inédites au droit au regroupement familial et au droit d’asile pour les étrangers. Nous dénonçons cette confusion des genres, d’autant plus que vous usez de vos responsabilités ministérielles pour esquisser les perspectives électorales. Cela ne facilitera pas, l’année prochaine, votre argumentation sur la rupture. Vous aurez du mal à convaincre le public que vous n’avez aucune trace de ce gouvernement après avoir tant contribué à sa boulimie législative. Nous sommes ici, Monsieur le Ministre, dans un quartier nauséabond, b
Mais nous sommes aussi ici dans le domaine de l’inflation législative ou des lois de facturation récemment dénoncées par le président du Conseil constitutionnel. « Oui, j’essaye de séduire les électeurs du FN, je vais même aller les chercher un à un, ça ne me dérange pas », vous avez annoncé dans Le Parisien du 29 mars. Et vous avez ouvertement repris, devant vos admirateurs. ont rassemblé le 22 avril à Paris, les slogans de Le Pen, eux-mêmes transpositions des anathèmes des groupes d’extrême droite aux Etats-Unis pendant la guerre du Viet Nam.
Pour un homme qui se veut l’incarnation de la rupture, vous n’innovez donc pas. Vous vous situez même dans une continuité remarquable. Il y a vingt ans, votre ami Charles Pasqua disait que les valeurs de la droite et celles de l’extrême droite étaient les mêmes. Quelques années plus tard, des propos sur « les sons et les odeurs » placent l’immigration au cœur du débat politique. Puisque cela plaît, pourquoi « se cacher », comme vous le dites si souvent ? Vous ne faites rien d’autre que de suivre les traces de vos pères spirituels et de creuser plus profondément sur leurs traces. Alors arrêtez de vous présenter comme un homme nouveau : vos idées sont dépassées. Ce sont ceux de la droite française la plus conservatrice et votre bilan, dans ce domaine comme dans d’autres, est un échec.
De nombreuses oppositions
Vous présentez donc un texte qui ne s’imposait pas, et, pire, que personne ne soutient. Vous le sauriez si vous générez les concertations nécessaires avant son élaboration. Et vous le savez, d’ailleurs, puisque les critiques émanent même de vos rangs. Jean-Louis Debré s’est montré circonspect, a estimé la nécessité de « ne pas courir après l’électorat le plus extrêmiste », et demandant un devoir d’« humanité » envers « des gens qui sont censés et sont hélas obligés de quitter leur pays alors qu’ils voudront y rester ». Notre collègue Etienne Pinte laisse entendre que ce projet n’était pas nécessaire, sauf à vouloir instrumentaliser le thème de l’immigration à des fins électorales. S’il accepte l’idée d’immigration choisie, il souhaite que soient préservées les garanties du droit d’asile et du regroupement familial. Plus de 300 organisations se sont regroupées au sein d’un « collectif contre l’immigration jetable » pour défendre les droits fondamentaux que votre texte menace, combattre votre volonté de réduire l’étranger à sa force de travail, insister sur la nécessité d’investir des populations fragilisées. La plupart des syndicats dénoncent votre approche utilitaire et sécuritaire de l’immigration, l’instrumentalisation de ce débat et le risque de précarisation des immigrants soumis à l’arbitraire lorsqu’ils doivent être protégés par le droit. Le Conseil des Églises chrétiennes enfin, ému par l’inhumanité de ce texte, regrette « la perspective utilitariste de cette réforme » puisque « sont acceptables en France les étrangers perçus comme nécessaires pour l’économie, la personne humaine et sa situation personnelle devenant secondaire et ses droits restreints ».
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Pour quelqu’un qui prétend réunir la France en 2007, les choses commencent mal ! La société s’inquiète à juste titre de la perspective d’un durcissement supplémentaire de la loi et de la philosophie qui la sous-tend. En effet, ce projet est dangereux, car anti-républicain.
La France a l’honneur d’incarner, depuis le siècle des Lumières, la référence aux valeurs morales et politiques. C’est, historiquement, une terre d’immigration et d’asile. Il a été construit sur ce principe. Dans un monde ouvert, dans une Europe vivante, notre pays apparaît anachronique et décalé lorsqu’il aborde la question de l’immigration sous l’angle « franco-français », en dehors d’une réflexion globale et internationale. Les sénateurs socialistes qui ont participé à la commission d’enquête sénatoriale l’ont parfaitement exprimé dans leur contribution : « L’amalgame entre asile et immigration, entre immigration et terrorisme, entre immigration dite illégale et immigration dite régulière, constitue un poison pour notre démocratie. . et un danger pour les valeurs fondamentales de notre République.
À cet égard, le concept d’immigration « choisie » est très choquant. Abdou Diouf expliquait récemment dans Le Progrès pourquoi il est « frappé par un projet politiquement et moralement inacceptable ». Il a ajouté : « Je ne peux pas accepter que la France dise, unilatéralement : je choisis des immigrés diplômés de telle ou telle catégorie, et tous les autres, je n’en veux pas ». L’immigration « régulée », a-t-il souligné, serait préférable à l’immigration « choisie ».
Et encore, avez-vous renoncé dans le contenu de la loi, au terme d’immigration « subie », qui était sans doute difficile à manier même dans vos rangs. Mais si cette formule malheureuse a disparu du projet de loi, elle n’a pas disparu de vos propos.
Vous l’avez affirmé dans la presse le 5 février : « Nous ne voulons plus d’immigration subie, nous voulons une immigration choisie, c’est le principe fondateur de la nouvelle politique d’immigration que je prône. Je sais que ce principe se heurte à deux fondamentaux. La première, celle de l’immigration zéro
défendu par Le Pen. La seconde, celle de ceux qui pensent que tout contrôle de l’immigration porte en lui les germes d’une forme de racisme. J’accuse ce fondamentalisme de promouvoir l’extrémisme, car derrière l’immigration incontrôlée, il y a un risque signal d’amalgame, de tensions et de racisme ».
Logique nationaliste et xénophobe
Je constate que vous assumez fièrement cette classification des immigrants. Je remarque aussi que vous vous présentez, encore une fois, comme le seul à avoir des solutions et le seul détenteur de la vérité. J’ajouterais que je trouve extrêmement choquant que parmi les deux « fondamentaux » que vous dénoncez, le plus choquant à vos yeux ne soit pas celui du Front national. Enfin, je vous accuse de déformer la position de vos adversaires. Personne ne refuse que l’immigration soit contrôlée, personne ne prétend que la France doit accueillir tout le monde, tout simplement parce qu’elle ne le pouvait pas. Ce que nous disons, c’est que le contrôle nécessaire des flux migratoires ne doit pas conduire à l’injustice et à la répression et qu’il peut être mené dans le respect des valeurs sur lesquelles notre république est fondée.
Si vous avez effacé de votre discours les mots les plus offensants, leur sens demeure et vos propos les rendent clairs sans aucune ambiguïté. Il s’agit d’alimenter un vent xénophobe.
Dès l’exposé des motifs, le ton est donné. La lutte contre l’immigration clandestine est le premier thème abordé, et lorsque ce texte admet que « l’intégration des migrants dans la société française est insuffisante », force est de constater que dans votre esprit, la faute n’en revient pas à « l’État qui ne remplirait pas ses missions, mais aux immigrés.
Je sais que vous êtes sous la pression de certains de vos amis, qui flirtent avec le nationalisme le plus obtus et la xénophobie obscure. Il y a quelques semaines, je lisais avec stupéfaction la tribune signée par un député UMP dans un hebdomadaire : « Trente ans d’immigration massive, en flux continu, encouragée par la complaisance de la gauche et la paralysie de la droite, ont fait sauter les digues de notre identité nationale. Un peuple qui ne sait plus ce qu’il est, d’où il vient, n’a plus de destin ». Sans doute, ce parlementaire aura bu du petit-lait en vous entendant regretter de devoir « s’excuser d’être français ».
Cette logique nationaliste et xénophobe n’est pas la France, celle que l’on aime, fière de son histoire et de sa devise : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Cette logique nationaliste et xénophobe, nous ne l’acceptons pas, car nous refusons de renier notre identité, nos principes, nos valeurs, qui sont celles de la République.
Car ce que vous proposez, c’est bien un tri, sur des critères élitistes, entre « bons » et « mauvais » immigrés, et des quotas, même s’ils sont rebaptisés « objectifs quantitatifs pluriannuels ». Ce que vous proposez, c’est de privilégier les « bons étrangers », capables d’apporter des « compétences » et du rayonnement en France. La carte de séjour « compétences et talents » s’adressera à cette catégorie d’immigrés « haut de gamme », sorte d’immigrés, répondant à des critères utilitaires. Quant à la notion d’immigration « subie », elle est humainement inacceptable. Elle nous amène à considérer comme « subis » tous ceux qui sont différents. Cette attitude renforce le communautarisme et l’individualisme. Nous refusons d’entrer dans un débat dont les termes sont ainsi énoncés. C’est le sens de nos motions de procédure,
L’immigration familiale n’est pas quantitativement excessive
De même, ce que vous combattez avec votre texte, c’est le droit de vivre avec votre famille. Certes, les migrations pour raisons familiales ont augmenté proportionnellement depuis l’arrêt de l’immigration de travail en 1974. Cependant, cette immigration familiale n’a rien d’excessif. Le rapport annuel de la Direction de la population et des migrations, rendu public mercredi dernier, le confirme. Selon ce document, bien que l’immigration pour raisons familiales soit en hausse, touchant 102 650 personnes en 2004, le regroupement familial stricto sensu est en baisse : 25 429 personnes en ont bénéficié, contre 26 768 en 2003. A titre de comparaison, les entrées pour raisons familiales concernaient plus de 80 000 personnes chaque année dans les années 1980.
Entre une politique angélique et une politique de la peur, il y a place pour une politique qui respecte les valeurs de la France et pourtant responsable. C’est celui que nous défendons. Nous rejetons votre approche abstraite, technique, déshumanisée de l’immigration, sa présentation comme un problème, la cristallisation autour de cette question, à des fins purement électorales, des difficultés de la société française. Alors parlez aux Français des hommes, des femmes, des enfants, désireux de venir travailler et vivre ici, de l’exigence de solidarité que nous avons à leur égard, de nos engagements internationaux en matière de développement, et arrêtez de leur jeter le soupçon. J’ai rencontré récemment un responsable d’association à qui votre texte a arraché ce cri du cœur : « Les vies humaines n’ont rien à voir avec ces lois ! »
En effet, le titre II du projet de loi constitue une remise en cause inacceptable d’un certain nombre de droits fondamentaux : le respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale.
vie, dignité, droit d’asile, intérêt supérieur de la famille. ‘enfant. Il bafoue les droits essentiels sur toute une série de domaines que nous aborderons au cours des débats. J’en retiendrai essentiellement trois qui me paraissent les plus marquantes :
– La liberté de se marier. C’est une liberté fondamentale et le véritable parcours du combattant que vous voulez imposer aux conjoints est scandaleux. L’utilisation du mariage comme moyen de contourner les règles du séjour en France existe, mais il n’y a pas la fraude massive que vous sous-entendez.
Ce soupçon se trouvait déjà dans le rapport de M. Mariani qui notait en mars dernier « une augmentation apparemment irrésistible des mariages mixtes ». Peut-être pourrions-nous simplement dire que dans nos sociétés modernes, les mariages mixtes ne peuvent que se développer.
De plus, aujourd’hui, de nombreux enfants d’immigrés nés en France ou arrivés au titre du regroupement familial dans les années 1970 choisissent de se marier dans leur pays d’origine, pour des raisons culturelles ou religieuses.
Il ne s’agit pas de leur dire : « Si vous n’aimez pas la France, quittez-la », mais d’admettre que chacun peut avoir des racines multiculturelles. Selon votre loi, un étranger marié à un conjoint français n’aura plus la certitude d’obtenir son titre de séjour au bout de trois ans.
Ce n’est pas seulement l’étranger qui sera précaire, mais aussi son conjoint français, que vous semblez oublier. Aucun autre pays européen n’impose cette obligation de visa de long séjour pour les conjoints étrangers : la France constituera donc une exception en Europe, alors que rien ne justifie ce régime particulier.
– Le droit au regroupement familial. Les restrictions que vous introduisez dans ce domaine montrent que la méfiance et la précarité sont les deux piliers de votre projet de loi.
La remise en cause de ce droit n’est justifiée par aucune réalité, puisque le nombre de personnes concernées diminue.
Surtout, il est inadmissible d’imposer des conditions de revenus calculées hors prestations familiales et sociales. Ce durcissement risque d’augmenter l’immigration clandestine car on ne peut pas imposer la séparation à une famille.
D’autant plus que les personnes qui entrent illégalement pour se retrouver ne peuvent pas être renvoyées dans leur pays puisque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme vous l’interdit.
Par ailleurs, la condition d’intégration requise pour le regroupement familial reste très imprécise quant à son contenu et les modalités de sa vérification.
L’arbitraire administratif risque de se substituer au respect de la loi.
– La suppression du système de régularisation individuelle permanente est l’une des régressions les plus graves de ce texte. Là encore, la disproportion entre le « problème » et son traitement est frappante, puisque le nombre de personnes régularisées chaque année grâce au système actuel est estimé entre 2 500 et 3 000.
Vous parlez, Monsieur le Ministre, de « prime de clandestinité », alors qu’il ne s’agit que d’appliquer le principe de prescription reconnu par la loi française.
Cette intransigeance se traduira par une aggravation de la précarité des personnes, avec toutes les conséquences en termes de santé, de logement, de droits sociaux qui en découleront.
Pourtant, un immigré, même s’il est entré illégalement en France, qui réussit à y rester dix ans, a d’une certaine manière manifesté sa volonté de s’intégrer en acceptant cette période d’épreuve.
On ne reste pas dix ans en France sans travailler, apprendre la langue, tisser des liens. Pourquoi revenir aujourd’hui à un dispositif que vous avez même maintenu dans la loi de 2003 ? Là encore, la France se démarquera des pays démocratiques comparables.
Au Royaume-Uni, la régularisation est possible après 14 ans de séjour irrégulier, et après 7 ans pour les familles avec enfants.
En Allemagne, la loi votée en 2004 prévoit un titre de séjour pour raisons humanitaires et couvre les situations protégées par la Convention européenne des droits de l’homme.
En Espagne, tout étranger qui a travaillé pendant un an peut être régularisé après deux ans de séjour irrégulier et après trois ans en cas de lien familial et s’il peut se prévaloir d’une promesse d’emploi.
Le refus des régularisations progressives crée des « stocks », comme la France l’a connu après le passage de Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, comme l’Espagne et l’Italie l’ont également connu et on le sait bien que la seule solution soit alors de procéder à des régularisations massives qui désorganisent l’administration et créer un appel à l’air que la régularisation dans le temps empêche au contraire.
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Ce texte n’était pas nécessaire. Il est dangereux. Enfin, il sera inefficace. Ces mesures favoriseront la précarité, le travail clandestin et l’illégalité. En assurant la lutte contre l’immigration clandestine, ce sont les immigrés en situation régulière que vous fragiliserez.
Tous les spécialistes de l’immigration sont d’accord : cette nouvelle législation va gonfler le flux d’étrangers en situation précaire ou irrégulière, créant ainsi un nombre croissant de personnes qui ne peuvent être expulsées ou régularisées, condamnées à la réclusion à perpétuité jusqu’à ce qu’une régularisation massive mette fin à cette indignité. . Par
durcir les conditions de vie des couples mixtes et des familles étrangères, que recherchez-vous ?
Vous savez qu’on n’empêche pas définitivement un homme ou une femme de vivre avec son conjoint et ses enfants. Les familles d’étrangers arrivés légalement en France continueront à venir, mais illégalement.
En prétendant lutter contre la fraude, vous la rendrez inévitable. Pire, le dispositif que vous envisagez sera juridiquement inopérant, puisque lorsque ces conjoints et enfants seront arrivés en France, la Convention européenne des droits de l’homme les protégera contre l’expulsion. Catherine Vihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, explique à juste titre : « En durcissant les règles, on développe la clandestinité. Ce n’est pas une politique trop laxiste, mais une politique trop restrictive qui crée l’illégalité. Quand les frontières sont ouvertes, les gens se déplacent, font des allers-retours, quand les frontières sont fermées, ils se stabilisent ».
Monsieur le Ministre, les lignes Maginot sont impuissantes. Votre dossier est là pour vous le rappeler. La loi de 2003, bien que très restrictive, n’a pas eu les effets que vous attendiez. Cependant, le traitement de l’immigration n’appelle pas cette politisation permanente, cette polémique que vous entretenez volontairement. Car finalement, on se demande quel problème vous voulez résoudre. L’immigration est stable en France depuis plusieurs décennies. Ce qui serait utile aujourd’hui, au lieu d’une nouvelle loi injustifiée, serait de s’inquiéter de l’administration de l’immigration. Ce qui manque, ce sont des ressources, une impulsion administrative, une bonne organisation des services d’immigration. Votre rôle de ministre de l’Intérieur devrait vous inspirer pour y parvenir. Mais cela est moins médiatisé que la fièvre générée par les débats artificiels.
Vos méthodes musculaires ne sont guère plus efficaces. Pour preuve, je prends le fiasco qui a entraîné la fermeture de Sangatte, alors que vous prétendiez régler le problème des réfugiés. Depuis, c’est l’horreur.
Sangatte, Ceuta, Mellila : aucun mur ne peut arrêter le désespoir et la misère
Les conditions de vie dans le centre étaient, bien sûr, déplorables. En dehors du centre, ils sont catastrophiques. Les errances des immigrés clandestins ont suscité un mouvement de solidarité de la part des calaisiens, dont certains ont également fait l’objet de poursuites pénales pour faits de simple humanité. Il y a quelques jours, la presse locale relayait le ressenti des salariés de la ville de Calais occupés aux opérations de nettoyage du Bois Dubrulle, un espace d’arbres situé dans une zone industrielle, dans lequel vivaient les candidats à l’immigration en Grande Bretagne, Je cite « La Voix du Nord », « au milieu des rats, des puces et des détritus, sous des abris de fortune ». « La vie à la poubelle, c’est en quelques mots ainsi que l’on pourrait résumer le quotidien des migrants en situation irrégulière », décrit l’article. L’auteur de l’article poursuit : « Les squats ont été éradiqués, bien sûr, mais d’autres poussent déjà quelques centaines de mètres plus loin. Insidieusement, les abris de fortune et leurs nombreux occupants s’imposent comme le symbole de l’échec de l’Etat dans la lutte contre l’immigration clandestine vers Calais ».
De même, les morts dans les enclaves de Ceuta et Mélilla, à l’automne 2005, ont également montré que la construction de murs est inefficace et que seule une coopération internationale efficace, et une coordination européenne en particulier, peut apporter des réponses aux défis. mouvements migratoires que la mondialisation rend de plus en plus naturels. Quand un homme ou une femme veut fuir son pays, il est prêt à payer n’importe quel prix, même celui de sa vie.
Aucun mur ne peut arrêter le désespoir et la misère. L’opinion publique s’est émue, en octobre 2005, de ces « nouveaux barbelés aux portes de l’Europe », sur lesquels des milliers de migrants subsahariens se déchirent et parfois meurent. Que répondez-vous, Monsieur le Ministre, et que répondons-nous tous, car nous sommes tous concernés, à ces histoires d’hommes se tailladant la chair pour franchir des barbelés au-delà desquels la police espagnole, peut-être un centre, ne manquera pas de les attendre. de détention, et enfin qu’est-ce que pour eux déjà goûte la liberté, le statut de non-expulsable qui prétend venir de nulle part ? La presse avait repris à l’époque l’histoire d’un jeune Burkinabé, à qui on expliquait que l’Europe n’était pas une terre promise, et qui répondait : « La souffrance chez nous et celle de chez nous, ce n’est pas la même chose. . A Mélilla, je respire la liberté, je n’ai plus peur, même si je peux être arrêté ».
Cette incapacité à bloquer l’immigration par la force est aussi le constat que font aujourd’hui les autorités américaines. Le vote par la Chambre des représentants, le 16 décembre, d’un projet de loi qui prévoit notamment la construction d’un mur couvrant un tiers du tracé de la frontière sud des États-Unis, a provoqué l’émotion de la communauté. Hispanique et un débat politique proche de celui qui nous oppose aujourd’hui. Comme en France, personne ne conteste la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine, mais 70 % de la population américaine est favorable à ce que les immigrés clandestins qui ont un emploi aux États-Unis puissent s’en
y séjourner avec un visa de longue durée. Les églises se sont également mobilisées en faveur des immigrés comme elles ne l’avaient pas fait depuis le mouvement contre la ségrégation des noirs dans les années 60 ».
Nous n’en sommes pas, en France, à nous retrancher derrière des murs ou des clôtures, et pourtant, c’est une sorte de mur juridique que vous essayez d’édifier aujourd’hui. Il sera inutile et même contre-productif, non seulement parce qu’il créera trop d’injustices, mais surtout parce que l’abus de répression aboutit à des effets exactement inverses aux objectifs affichés.
La répression en aval de l’immigration est forcément inefficace et surtout inhumaine. Elle signale l’échec de la nécessaire maîtrise du phénomène, qui doit avant tout être conçue en amont, par des politiques concertées et des coopérations renforcées. Il ne sert à rien de fermer les yeux ou de multiplier les obstacles. Le monde s’ouvre à la circulation des personnes, et ce monde de plus en plus interdépendant se prête moins que jamais aux barrières. Seules des politiques concertées apporteront les solutions appropriées : en abordant la question du partage des richesses à l’échelle mondiale, en renforçant l’aide publique au développement, en augmentant les investissements directs, en établissant des règles de commerce équitable. Les instruments existent, au niveau de l’Union européenne et au niveau international, pour construire un monde plus juste et plus démocratique. Le reste est affaire de volonté politique. Ce sera long, mais plus utile que de recourir à la loi du plus fort pour renvoyer dans leur misère des êtres humains dont le seul défaut est d’être nés du mauvais côté de la planète.
Avec ce texte, la question de la nécessité d’accueillir et d’intégrer les étrangers qui choisissent la France est mal posée, et posée au mauvais moment. Pire, votre loi divisera, affaiblira, là où il faut unir, sécuriser. Vous mettez la République en danger : ce n’est pas le rôle d’un ministre de l’Intérieur ! C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j’invite mes collègues à voter sur cette irrecevabilité.